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Dans l’enveloppe…une cassette! |
« Cher Jean-Claude,
Je suis à Korath attendant frère René et je profite de cette attente pour rédiger cette lettre.
Je n’ai jamais fait un voyage aussi fatigant, ce sera sans doute le dernier. Fatigue physique, fatigue intellectuelle, perte de mémoire allant en s’accroissant. Cela n’augure rien de bon, si ce n’est l’essentiel : voir le Seigneur. Quand ? C’est Son secret. Fiat !
Je veux avant de partir vous redire toute ma reconnaissance, toute mon affection que vous partagerez avec Aliette et vos enfants. Je sais que je vous ai trop souvent accaparé, trop souvent enlevé à votre vie familiale et tous en ont souffert mais sans vous ASPEL France n’aurait vu le jour sinon peut-être en 1975 et dans quelles conditions. Vous n’avez jamais accepté la présidence, mais les présidents se sont succédés, les membres du conseil aussi, vous êtes toujours restés vice président et c’est grâce à votre activité que nous avons parcouru ce chemin ensemble. Seul, je n’aurais eu ni les moyens ni la capacité de servir l’association. Je vous en remercie, j’en remercie Aliette qui a accepté d’être trop souvent seule avec les enfants à cause de votre situation certes, mais bien souvent à cause de l’association. Elle-même et les enfants ont ainsi contribué dans l’ombre à bien des sauvetages.
Ce chemin parcouru ensemble vous désigne tout naturellement pour être mon successeur.
Il se peut que certains disent qu’on ne vous a pas vu très souvent aux réunions du comité directeur au centre National. C’est vrai mais personne, en dehors de moi, ne sait tout le travail que vous avez réalisé et nous sommes en relation presque quotidienne au téléphone. D’autre part, l’association est mon enfant. Je n’ai aucune charge familiale, je peux donc m’y consacrer 24 heures sur 24. Cela, même en le voulant et que votre situation le permette vous n’auriez pas le droit de le faire, votre famille restant votre premier devoir.
Votre porte toujours ouverte avec si grand cœur faisait de votre propre maison une annexe du foyer. Les enfants, surtout ceux de la région parisienne et ceux du nord vous appellent souvent Tonton ou aussi Petit Tonton et c’est une marque de l’affection qu’ils vous portent en reconnaissance de ce que vous avez fait ou de ce que vous faites pour eux.
Vous avez apporté à l’association un grand nombre de relations qui sont fort précieuses, autant sur le plan administratif, considération, que sur le plan financier.
Vous avez travaillé à structurer l’association mieux que je n’aurais ou le faire.
Vous allez éditer un livre sur l’Association où je regrette que l’on parle trop de moi, mais je me fie à votre jugement et vous pensez que c’est nécessaire pour l’association. Je l’accepte donc.
Ceci est le passé, voyons l’avenir. Née au Laos, l’association doit continuer à aider les enfants du Mékong sans distinction. Si l’on suit le cours du fleuve, la tâche est immense. Nos efforts doivent se porter d’abord, comme depuis 1975, sur les réfugiés de ce qui fut l’Indochine française. Ce programme est loin d’être ter miné, mais, un jour, il le sera. Nous avons commencé à aider des enfants de Thaïlande. Cette petite action est une expérience qu’il faut poursuivre, car si le touriste voit en Thaïlande tout le beau côté brillant de la médaille, il n’en voit pas l’envers. Il ne voit pas ces orphelins, pas toujours absolument pauvres, mais dont les plus brillants ne peuvent continuer des études faute de moyens. Certes, si l’on prend la charge des enfants pauvres que nous trouverons, il faudra demander aux parents un effort, minime peut-être, mais un effort, ne serait-ce que de 1 000 bahts sur les 15 000 à 20 000 que peuvent coûter l’entretien, l’instruction, l’éducation de ces enfants.
« Je n’exclus pas l’aide aux enfants laotiens, cambodgiens, vietnamiens, dans leur pays, quand la situation le permettra.
« En plus de l’aide directe, des actions spécifiques : écoles, orphelinats, doivent être envisagées comme nous l’avons fait jusqu’à ce jour dans les camps de réfugiés.
« Je verrai au cours de ce voyage un collège sur la frontière khmère. Je proposerai une aide, mais je demanderai que le français soit enseigné comme langue étrangère. Laos, Viêt-nam, Cambodge furent pendant un siècle des pays francophones et doivent le rester. Quant à la Thaïlande, pays anglophone, le français y est enseigné dans certaines écoles. Il faut aider cet enseignement pour une meilleure compréhension entre nos deux pays et choisir pour nos pupilles des écoles où notre langue est enseignée.
« Je conclus : présentez à tout le conseil, à tous nos amis, au personnel, mes remerciements pour leurs collaborations, et en particulier à la Fondation Lannelongue et à son cher président, monsieur de Crouy-Chanel.
« Je demande au conseil de vous élire Président de l’association, charge qui vous incombe naturellement après 25 ans de collaboration sans qu’un seul désaccord soit venu porter une ombre sur cette collaboration.
Mon meilleur souvenir à toute votre famille, affection à vos enfants et je vous dis A DIEU. Priez pour moi; de mon côté, je ne vous oublierai pas.
Tonton
Korath, le 8 janvier 1985[1].