Légion d’honneur de Jean-Claude Didelot
Allocution d’Amédée Thévenet
Monsieur le Maire, mes chers amis,
On n’est pas tout à fait le 30 novembre, c’est dommage, parce que le 30 novembre a eu lieu la naissance d’un écrivain, Marc Twain en 1835, d’un éditeur, Robert Laffont en 1916 et de notre ami et président qui est à la fois éditeur et écrivain, Jean-Claude Didelot.
Je vais vous lire sa biographie, ensuite je vous dirai ce que j’en pense, ce que j’en ai retenu parce que j’ai eu sa biographie, je l’ai ensuite écouté – j’ai une cassette [Aie !], je ne l’ai pas gardée, je l’ai cachée, je l’ai perdue, je ne sais pas ce que j’en ai fait !- et j’essaierai de vous dire ce que le Père [le père Bro] appelait tout à l’heure le fil d’or de la vie de notre président.
Il est donc né le 30 novembre 1939 à Nantes. Il était ensuite en Algérie à Oran. De là son père est parti avec la 2ème DB en Angleterre. Débarquement en Normandie. Il a été privé de son père pendant toute la guerre.
Ensuite, une petite parenthèse, pour dire que de gros éléments de la 2ème DB sont partis en Indochine avec Leclerc, que Leclerc voulait faire la paix en Indochine et si on l’avait écouté on aurait économisé à ses peuples que nous aimons trente années de guerre et vraisemblablement trois millions de morts.
Notre ami a été élève successivement au collège Saint François Xavier à Vannes, au lycée Jeanson de Sailly puis au Prytanée militaire de La Flèche où il obtient son bac.
Maths sup. et maths spé. au collège Stanislas de Paris, volontaire en Algérie trois mois – Sections Administrative Spéciales – il entre major de sa promotion à l’école d’Hydrographie du Havre. Service militaire comme officier de marine dans le Pacifique – Enseigne de Vaisseau.
En novembre 1964, il devient parrain de l’Association pour la Protection de l’Enfance au Laos en découvrant un appel au parrainage dans le Figaro Littéraire. Son filleul s’appelle Phuoc, jeune laotien.
Lieutenant à la Compagnie des Messageries Maritimes, pendant six ans, nombreux voyages notamment à bord du steamer ship « Laos » avec escales à Saigon.
En 1968, appelé par René Péchard, fondateur de l’association au Laos, il quitte la navigation, fonde avec lui l’association en France qui fusionnera ensuite avec l’association pour la protection de l’Enfance du Laos pour former les Enfants du Mékong en 1977. Je crois que c’est le premier virage de sa vie.
Il monte vite les échelons. Tour à tour, il est au département éducation du groupe Hachette, délégué, directeur régional, directeur commercial. Enfin, directeur du marketing du groupe jeune. Et je crois, d’après ce que j’ai lu, et écouté qu’un nouveau virage se prend dans sa vie : il fonde les éditions du Sarment chez Fayard où il devient directeur du département religieux ; il fonde également, toujours chez Fayard, la collection « Les enfants du Fleuve » qui a obtenu le prix scientifique de la Fondation pour l’Enfance, collection animée par les Enfants du Mékong.
Il avait donc un poste très important avec une centaine de collaborateurs de haut niveau. Il recommence à zéro avec une seule secrétaire parce qu’il voulait que sa vie professionnelle aussi soit consacrée aux enfants et non pas seulement à son engagement social.
En 1984, il est président de l’association « les Amis de Jeunesse Lumière ».
En 1988 à la mort de René Péchard il devient président des Enfants du Mékong qui recevra le prix des Droits de l’Homme de la République Française en 1990.
En 1996 il est président de l’association Saint Grégoire.
Il est père de quatre enfants. Sa bibliographie comporte « La Famille Chrétienne », « les enfants du Mékong » avec le père Jean-Claude Darrigaud et « Clérocratie dans l’Eglise de France ».
C’est pour cette vie si bien remplie qu’il a été proposé au grade de chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur. Quelqu’un l’a proposé et ça s’est passé très vite. On n’a jamais vu à ma connaissance une décoration aller si vite. Pourquoi ? Parce que d’une part je pense qu’il était déjà connu, les Enfants du Mékong étaient déjà connus dans les services du ministre de la Francophonie et que, quand son dossier – j’ai fait 45 ans ou presque d’administration, je connais comment ça marche ! – quand son dossier est arrivé à la Chancellerie on a dit : « Tiens, tiens, Didelot, tiens, tiens, ça me dit quelque chose ! » Alors on a remonté et on a trouvé : son père Georges, général de Brigade, officier de la Légion d’Honneur ; son grand-père, c’est à dire son aïeul, Georges, capitaine de vaisseau, grand-officier de la Légion d’honneur ; son arrière grand-père, Octave, bisaïeul, vice-amiral, grand officier de la Légion d’Honneur ; son trisaïeul, Charles, ministre plénipotentiaire qui a obtenu la légion d’honneur en 1803, laquelle légion d’honneur a été fondée en 1802 – ce siècle avait deux ans comme Victor Hugo – c’est à dire que je ne pense pas qu’ils aient à la Chancellerie quatre hommes successif en ligne directe qui aient été dans cette Légion d’honneur.
Alors ce qui est remarquable pour ce qui le concerne c’est que l’on peut rentrer dans la Légion d’honneur par deux portes. Il y a la grande porte des officiers généraux, des hauts fonctionnaires, des ambassadeurs, et puis il y a la toute petite porte, la porte étroite, de ceux qui travaillent dans l’ombre, de ceux qui font de l’humanitaire mais qui n’est pas de l’humanitaire spectacle, qui n’est pas de l’humanitaire politique, qui n’est pas … du sac de riz, qui n’est pas, …mais qui travaille à la base. Et c’est par cette petite porte qu’il est entré, parce qu’il a été proposé et puis qu’on a dit : « Enfin oui, il devrait y être depuis longtemps ». Et c’est comme cela qu’il a été élu . Alors je l’ai découvert et je suis allé le voir parce que je suis un ami comme chacun de vous. Et je lui ai dit : « il faut que vous trouviez Monsieur le Président, un ambassadeur, un académicien, que sais-je ? Pour faire connaître l’association, il faut prendre quelqu’un de plus haut possible, de façon à ce qu’il y a la télévision et que l’on parle des enfants du Mékong parce que cela permettra… » il dit : « Non, non, je veux que cela soit vous, Thévenet » Bon ! Je veux bien. J’ai été un peu embarrassé. Et puis au fond il y a une vieille complicité entre les enfants du Mékong et moi.
Quelqu’un m’a fait plaisir tout à l’heure, une personne qui est là, elle m’a dit : « Vous me rappelez Tonton ». Alors en 1978, j’étais dans la Drome et le département s’était distingué par la quantité et la qualité des appels de boat people. En 1980, on avait un problème. Un établissement sauvage s’était installé dans le quartier de Fontbarlettes à Valence et on devait l’agréer – j’étais directeur des Affaires sociales – et le préfet me dit : « je ne veux pas que vous agréez çà » Pourquoi ? « Je ne veux pas ! » Pourquoi ? « A cause de René Péchard ». J’ai dit : « Ah bon ! Qu’est ce qu’il a fait ? » Il me dit : « Je suis chef des renseignements généraux, les renseignements que j’ai cela ne vous regarde pas mais on agréera jamais une association dirigée par lui. » En 1981, mon frère qui est missionnaire au Tchad revient. On va à Rome. On va à la maison des Oblats de Marie Immaculée à laquelle il appartient et on se trouve à table avec trois missionnaires qui revenaient du Laos. Je leur dit : « Au fait vous revenez du Laos, c’est marrant parce que moi j’ai un dossier sur mon bureau qui me fait mal au coeur. C’est un certain Péchard, René Péchard » Ils me disent : « Mais c’est le dentiste ! » Je leur dit : « Non, non il n’est pas dentiste, il s’occupe des gosses ! » Alors il s’est avéré que c’était le même. Je reviens triomphant à Valence. Je prends le dossier le soir je vais trouver le préfet. On traite les dossiers difficiles très tard puis je dit : « Vous savez vous l’aimez pas mais c’est un saint ». Et il me dit : « C’est pas une qualité administrative ! » Alors quand il a vu mon air déconfit il me dit : « écoutez, vous avez ma délégation de signature, du moins vous avez délégation de pouvoir. Vous allez en user et vous prenez vos responsabilités » Alors ce que j’ai compris à ce moment là c’est qu’ayant été moi-même prisonnier, j’étais moi-même suspect aux yeux de l’administration. J’avais déjà des signes. Parce que comme René Péchard j’ai été prisonnier, j’ai subit une rééducation forcée que je raconte dans le livre que vous allez acheter tout à l’heure et j’étais donc suspect aux yeux des renseignements généraux et c’est un homme suspect qui faisait de la publicité pour un autre homme qui était encore plus suspect puisque ce René Péchard avait été légionnaire dans la Légion étrangère. Pas la légion… Non il ne l’aurait jamais eu celle là non ! Il était à la Légion étrangère. Il a fait cinq ans de bons et loyaux services. Il s’est fait démobilisé sur place et il s’occupait des enfants – c’était quand même un drôle de type – sans s’occuper s’ils avaient une carte d’identité. Il s’occupait des gosses… Ce qui fait que les Viets le traitait de Français et il a été interné au camp N° 1 avec les officiers français …et les Français le traitaient de Viets… Enfin il avait tout fait pour plaire et avait vraiment cherché des bâtons pour se faire battre…
Alors quand le préfet m’a dit cela, j’ai signé l’arrêté, je l’ai convoqué, je l’ai reçu dans mon bureau. Je ne recevais pas les gens derrière mon bureau, il y avait une table, on se parlait en face. Et je le vois encore entrer dans mon bureau, massif. Et derrière la table j’avais installé une pendule et dessous « soyez bref ! ». Alors il est entré – vous connaissez son regard – il m’a dit : « Non pour moi c’est inutile ! » Alors on a eu un entretien très profond. On a parlé de tout et de rien. Et je me suis dit: « ce type il faut que je le retrouve parce que il faut qu’il devienne un ami parce que vraiment je me suis senti avec lui… quoi …il y a des gens qui rayonnent. Il rayonnait une intériorité, une sobriété. Vraiment j’étais conquis par lui. Malheureusement nos routes ne se sont plus croisées. En 1988 j’ai appris son décès. En 1991 notre directeur général, Yves Meaudre m’a dit : « il y a un problème administratif qu’il faut résoudre ». Il a été résolu. En 1996, j’avais écrit le livre dont je viens de parler. J’ai dit, je vais le faire éditer par cette fameuse maison. Et comme cela ils garderont mes droits d’auteurs, cela me règle un problème de … vous savez à la fin de l’année il faut toujours tout déclarer… Non, enfin bon je ne voulais pas… Tiens je vais vous raconter une anecdote parce qu’il faut rire un peu. J’en veux quand même aux gens qui gagnent beaucoup d’argent sur certains sujets. Daniel Rops avait fait un livre qui s’appelait « Jésus en son temps ». Il avait gagné une fortune et sa femme exhibait un manteau de vison et dans une réception Mauriac a passé la main sur le manteau de vison et il a dit : « Doux Jésus ! »
Alors cela m’avait frappé… mes petits droits d’auteurs : même pas une paire de chaussettes !
Donc en 1996, je retourne aux enfants du Mékong et je vous avoue que j’étais … euh ! Comment? Méfiant. Méfiant parce que les institutions sociales je les connais bien et en général elle tourne mal ; je vais vous dire pourquoi. Au départ, il y a un homme charismatique, un visionnaire, qui pose énormément de problèmes à l’administration. Après tout rentre dans l’ordre et au visionnaire succède le gestionnaire. Alors après c’est la gestion ; l’administration est contente mais que ce soit des petits cochons, des vieux ou des enfants abandonnés, c’est de la gestion. Et je me disais, ils ne vont pas y échapper et on va trouver des gestionnaires qui font les choses comme il faut, qui ont des casiers judiciaires impeccables mais est ce qu’il y a de l’amour derrière ? […] Et puis j’ai trouvé de l’amour à tous les niveaux. Vraiment j’ai trouvé dans cette association ce que vous êtes puis que c’est vous qui la constitué. J’ai d’abord regardé les chiffres en bon fonctionnaire. Quand Jean-Claude Didelot a pris l’association, il y avait 2000 parrainages, maintenant il y en a 12000, multiplié par 6 ; il y avait une maison, maintenant il y en a 6 ; sur le plan administratif il n’y avait rien à redire et sur le plan spirituel, pas forcément chrétien, mais sur le plan où on rétablit des gens bien dans leur peau, et après ils peuvent être bouddhistes ou chrétien moi j’aime mieux qu’il soit chrétien parce que je le suis mais enfin ils suivent leur destin. J’ai trouvé ce que je cherchais et que l’on ne trouve pas souvent.
Alors pourquoi à travers cette fameuse cassette que je garde pour l’avocat du diable dans quelques dizaines d’années quand il y aura un procès de canonisation, J’ai vu que la vie de Jean-claude Didelot était éclairée par deux lumières et j’en ai retenu trois leçons. Deux lumières comme les flambeaux de Jean Valjean. La première lumière c’est donc René Péchard dont on vient de parler. La deuxième lumière c’est Marcel Van. Alors pour moi Marcel Van c’est – comment dire ? – c’est l’ombre portée de Thérèse Martin et je crois que le 21e découvrira Marcel Van comme le 20e siècle a découvert Sainte Thérèse. Pour moi c’est cela. Je l’ai découvert à cette occasion, je l’avoue humblement. Et j’ai été assez ému parce que Marcel Van est né le 15 mars 1928, et moi le 28 mars de la même année. Il a été comme moi prisonnier mais dans des conditions beaucoup plus dures parce que nous les soldats on a capitulé quand on a vu que les trois quarts étaient morts. On a signé des manifestes demandant la paix au Vietnam et puis on a été libéré. Lui a été jusqu’au bout et je pense que si une comparaison était à faire sur la captivité de l’homme que je considère comme un martyre, on devrait faire la comparaison de Marcel Van avec le Père Kolbe. Le père Kolbe qui était donc un Franciscain, Polonais, qui a fini ses jours a Dachau dans des conditions épouvantables et dans la vie de Marcel Van, il y a un commissaire politique qui dit : « Van, il faut en finir ! » Avec le père Kolbe on a dit la même chose, il est mort dans des conditions épouvantables après avoir pris la place d’un père de famille condamné à mort. Je pense que c’est une leçon à retenir.
Alors les trois leçons à retenir après les deux flambeaux, les trois leçons que me donne – il prendra la parole, je ne voudrais pas dire ce qu’il va dire après mais on ne le dira pas de la même façon – la première chose c’est que, des trois choses qu’il m’a dite et que j’ai retenu c’est que dans la vie – c’est ce qu’il a fait mais… excusez-moi Président vous allez peut-être le redire ! mais dans la vie m’a-t-il dit – il me l’a dit, je le répète, – il faut fixer le cap – c’est un navigateur – sur le Seigneur et lui s’occupe des affaires temporelles. C’est dans l’Evangile. Il dit : « ma vie a toujours été dictée par l’étoile – il aime les étoiles – l’étoile, l’étoile du matin, c’est le Seigneur. Après, c’est Lui qui s’occupe du matériel. C’est la première leçon que j’ai retenue.
La deuxième leçon que j’ai retenue, c’est que tous autant que nous sommes à des degrés divers nous avons reçu des talents et que, au Jugement dernier – cela existe quand même, dont on parlait tout à l’heure avec plus d’éloquence que je ne saurais en avoir – on nous dira : « qu’a tu fais de tes talents ? ». Tu as une retraite de fonctionnaire, assez confortable, a quoi as-tu occupé ta vie ? Tu étais ceci, tu étais cela, t’es-tu occupé des plus faibles ? des plus pauvres, de ceux qui étaient à ta portée, sans faire de tapages. Je crois que c’est la leçon qu’il nous donne.
La troisième c’est l’amour des enfants qu’avait René Péchard et j’en finirai par là. Je lis la phrase qui m’a frappé dans la vie de René Péchard et j’en terminerai par là : « Notre action auprès des jeunes qui nous sont confiés par le Seigneur est un véritable sacerdoce. Nous devons donner corps et âme à ce travail d’éducation, d’exemples de vie chrétienne pour en faire des hommes honnêtes. Nous devons aimer particulièrement les plus pauvres, les plus démunis de moyens matériels, de moyens spirituels, de moyens intellectuels. Ce sont ceux qui nous donnent le plus de soucis par leur indiscipline, parfois par leur violence qui doivent faire l’objet de toutes notre attention ». C’est ce que j’ai retenu, monsieur le Président, de tout ce que j’ai lu, de tout ce que j’ai retenu pour préparer ce petit discours. Merci.
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A.T. : Vous savez que la République décore les gens de la Légion d’Honneur mais elle ne leur paye pas la médaille. Je pense que le trisaïeul Didelot, je pense que Napoléon devait payer la médaille quand même ; mais la République est pingre et là ce sont les enfants qui lui ont payé la médaille. Je le souligne parce que une médaille de la Légion d’honneur c’est très cher. La République cela ne lui coûte pas simplement l’encre sur le Journal Officiel mais là ce sont les enfants qui se sont cotisés pour lui payer la médaille.
Jean-Claude Didelot, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’Honneur.