Association pour la Protection de l’Enfance au Laos: Documents

Category: 1958 – 1976 345

Documents de Jean-Claude DIDELOT

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Un signe du destin

Juillet 1963 – 16 heures – Saigon – Paquebot « Laos » des Messageries Maritimes – Appel général:

 

« L’équipage aux postes de manœuvre ……..Steamer Ship Laos is about to sail. All visitors ashore, please. All visitors ashore!… ».

 

Seuls visiteurs encore tolérés, des policiers se livraient à la chasse aux clandestins tandis que nous descendions le fleuve entre rizières et palétuviers. A la limite des eaux territoriales, au large du cap Saint Jacques, ils pousseraient dans le bateau pilote un petit groupe résigné – pauvres hères qui tentaient de fuir la guerre. L’équipage peu enclin à s’embarrasser de ces voyageurs sans bagages, participait à la traque. Et puis, le commandant ne plaisantait pas.

 

« 17h15 : Paré à manoeuvrer – 17h 35 : tourné la remorque – 17 43 : Largué tout derrière »… Nous nous engageâmes dans le chenal de sortie.

 

 « Chacun son poste » commandait le maître d’équipage; « Entre les bouées » ordonnait le commandant ; « A toi le soin » disait le lieutenant de quart. Hormis les « indications du pilote et les ordres du commandant» un profond silence régnait sur la passerelle tandis que le grand paquebot blanc évoluait entre les balises :

 «  Gouvernez au deux cent quarante. Sans venir à droite »…« Bâbord en avant lente, Tribord avant demie ». ..  « En route au deux cent quarante, sans venir à droite »  répétait le timonier et, l’élève préposé au chadburn : « Bâbord en avant lente, Tribord avant demie ».

 Je levai les yeux machinalement vers la mature : une masse sombre en équilibre sur 1’étroite plate-forme qui couronnait le mat avant, tentait de faire corps avec les poutrelles
métalliques. Dans mes jumelles, deux jeunes gens apparurent comme à porté de main. La parallaxe les protégeait des regards des ponts inférieurs, mais certes pas de la passerelle.
Ils avaient compris qu’ils venaient d’être découverts et s’écrasaient encore plus contre 1’acier, comme pour s’y fondre. Ils savaient que je les avais vus et je savais qu’ils le
savaient… . Au même moment, le capitaine de police vint prendre congé. Ses hommes avaient déjà mis la main sur une dizaine de personnes en situation irrégulière. De leur
perchoir, les deux fugitifs pouvaient voir la scène. Une minute encore et s’en serait fait de leur cavale. Le commandant appela son maître d’hôtel : « Servez donc un whisky à ces
messieurs… dans la chambre des cartes». De là il était impossible de voir la mature…

Ai-je rêvé ? Je crois que le « vieux » sous les sourcils broussailleux, m’avait lancé un clin d’œil… Le lendemain il me rappela ses ordres concernant les clandestins – sans clin d’œil cette fois-ci – la voix bourrue et le cœur grand.

Consignés dans la cellule, tout à l’avant, les deux fugitifs poursuivirent la traversée en proie au mal de mer. J’y accompagnais l’inspection quotidienne. Nous avions le même âge. Ils murmuraient :

– «  Cam on ![1] »

 

– « Je ne vois pas de quoi ils vous remercient »

 

grommelait le pacha, et au maître d’équipage, un gars qui,  né natif  d’Ouessant, le comprenait à demi mot :

 

– « Veillez à ne pas les laisser filer ».

 

 A Singapour, il « oublia » de les enfermer et ils disparurent.

 

Ce fut mon premier contacts avec des vietnamiens fugitifs. Ce ne serait pas le dernier.

Jean-Claude Didelot

Lieutenant au Long Cours


[1] Merci!

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