François-Tien

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François-Tien

 

(Extrait de « Piété Filiale »)

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à 17ans

François-Tien nous arriva poussé jusque dans mon bureau par un des jeunes de la maison Marcel Van.. François parce que son père est Français et Tien pour la maman qui est vietnamienne. Les cheveux longs, plutôt butté. Nous discutons. Le gosse est en perdition et je pourrais parler à sa place tant je connais l’histoire par cœur. Il n’est manifestement, pas prêt à faire l’effort qu’il faudrait pour s’en sortir. Emu par cette grande détresse, je n’ai pas vu passer le temps. Le frère aîné de la maison frappe à la porte :

 

– « Tonton, on vous attend pour la prière… »


Ils sont effectivement tous là et proposent à François-Tien de rester avec nous. Le jeune acquiesce sans conviction. L’évangile du jour, c’est celui de la lumière du monde, du sel de la terre. Sans trop réfléchir (il vaut mieux pas dans ces cas-là), je l’interpelle :


– «  François-Tien, tu es le ciel de la terre, la lumière du monde… »


… et le regrette aussitôt car cela déclenche un torrent de larmes que les autres feignent de ne pas remarquer. Trois jours plus tard, c’est un autre François-Tien qui m’attend. A vrai dire j’ai bien failli ne pas le reconnaître : les cheveux coupés courts, plus de boucles d’oreilles et un beau sourire :


– « Je n’ai pas cessé de penser à ce que vous m’avez dit : vous savez, la lumière du monde… »


– « Ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est ton Dieu… »


– «Personne ne me l’avait dit avant. D’habitude, c’est plutôt le contraire, on me traite de nul et on a raison! Justement, j’ai demandé à ma mère. Elle m’a dit que j’avais été baptisé. On a parlé. Je suis allé pour la première fois prier avec elle à la chapelle de la Médaille miraculeuse. Elle m’a dit qu’elle y allait tous les jours prier pour moi depuis que j’étais petit. Voilà : je veux tout changer, changer de vie. D’ailleurs j’ai une copine qui me fait du mal, je l’ai larguée mais elle ne le sait pas encore. C’est comme ma bande de copains, ils me font faire des conneries, je vais les quitter. On a encore une réunion le treize juillet. C’est la dernière, ils ne me verront plus. Mais, monsieur, s’il vous plait, prenez moi avec vous ici, avec les autres, sinon je ne m’en sortirai pas… »


Tout cela, d’un trait… La maison est pleine, la liste d’attente est longue. Je réunis tout le monde, explique la situation : qu’un seul soit contre et nous n’accueillerons pas François-Tien, d’autant qu’il va falloir se serrer. Je n’ai pas le temps de terminer, tous les bras se lèvent, tous sont prêts à faire une place. Le gosse rayonne. Nous convenons qu’il viendra rejoindre le groupe dés le 14 juillet à la maison Notre Dame d’Erquy. Un beau cadeau, cette vieille maison de granit rose au milieu du village, à deux pas de la plage. Là, la famille s’agrandit ! Jusqu’a vingt-cinq ! On s’entasse comme on peut en respectant les règles d’encadrement et en essayant de se mettre aux normes. Il faut trouver des fonds, serrer les coûts. Nous sollicitons les uns et les autres, des pères de famille viennent y donner de leur temps. Beaucoup y prennent les premières vacances de leur vie loin de ces banlieues si dangereuses l’été. Ce sera le cas pour François-Tien et ses nouveaux frères n’en finissent pas de lui décrire le jogging du matin dans la lande, les repas en plein air, les parties de volley à la limite des vagues, la prière du soir dans la petite chapelle que nous rénovons, les paniers de prunes apportées par les religieuses, sans oublier les révisions. Le 10 il nous appelle tout heureux : « Plus que quatre jours! ».

Il est redevenu un enfant…

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Le 14 juillet, c’est un autre appel, sa maman en larmes : François-Tien est mort dans la nuit. Un jeune de la bande qu’il venait de quitter a voulu le ramener en voiture. Au premier tournant, c’est l’accident : une vitesse excessive, un poteau électrique, un conducteur drogué. Il allait avoir dix-huit ans.

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A Dieu Tien

Au crématorium, la bande des copains est là avec une chaîne Hi Fi qui diffuse un tube à la mode, celui que, parait-il François-Tien aimait. Ils s’étonnent des prêtres qui nous accompagnent pour bénir le corps de ce jeune converti que le Seigneur n’a pas voulu faire attendre pour le prendre dans ses bras : il était si pressé, si vulnérable! Sur le coup, je n’ai pas compris – aujourd’hui, si! Jamais il n’aurait supporté la fermeture de notre maison. Il en aurait trop souffert. Il se serait révolté. Il en serait mort spirituellement.

La pauvre maman a recueilli les cendres de son petit dans une urne. Elle n’a qu’une idée, nous les confier à la Maison Saint Grégoire, finir sa vie au service des autres jeunes, gratuitement, bien sur. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle m’a apporté le peu de vaisselle qu’elle possède, elle en fera cadeau… .

Les Maisons Marcel Van et Notre Dame d’Erquy sont fermées et la Maison Saint Grégoire réservée à une « élite » dont il ne faisait pas partie. Il a trouvé mieux et nous attend.

 

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