Na, « La vie est trop compliquée »

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Na

« La vie est trop compliquée »

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Extrait de « Piété Filiale »

Jean-Claude Didelot: Cela faisait maintenant dix ans que je m’efforçais d’épauler René Péchard, dix ans que ma femme et moi accueillions des jeunes venus du Laos, dix ans que des enfants en mal de paternité venaient battre à la porte de mon cœur sans y entrer vraiment : j’avais un père et ils n’en avaient pas. Ils souffraient et je compatissais.
Na me fit passer d’une compassion consentie à une souffrance partagée.

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Le jeune garçon que nous avions ramené un soir partageait notre vie familiale depuis plus d’un an lorsque ses parents purent le reprendre. Nous l’aimions comme notre propre fils. Avant de nous quitter, il voulu à toute force être baptisé entouré de ses camarades d’aumônerie et  me demanda d’être son parrain.
 Je le conduisis moi-même dans la ville de province où ses parents s’étaient réfugiés. Nous dûmes courir d’un guichet à l’autre : Il fallait trouver un centre d’apprentissage, un patron, régulariser des papiers… subir sans broncher la morgue des bureaux. La nuit était tombée lorsqu’épuisés, nous primes contact avec la paroisse la plus proche où le prêtre de garde l’accueillit avec chaleur. Na s’épanouissait lorsqu’au moment de prendre son adresse :
 « Désolé ! A une rue près, tu habites sur une autre paroisse et t’inscrire chez nous poserait des problèmes. Tu comprends : la pastorale d’ensemble… »
 Non, nous ne comprenions pas et j’entraînai l’enfant dont les yeux s’étaient embués loin de cette administration. Dans la paroisse voisine, nous tombâmes sur un vicaire déterminé : «Apprenti, immigré…JOC! ». Une affiche de cette organisation se glorifiait de la « construction du socialisme ». Nous trouvâmes un prétexte pour échapper aux réunions avec les copains et copines et s’en fut fini avec la pastorale d’ensemble.

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Deux années s’écoulèrent. Na venait régulièrement passer ses vacances à la maison. Un soir de novembre, il m’appela : « Parrain, la vie est trop compliqué ». Je n’ai pas compris. Quinze jours plus tard, dans la nuit du vingt-huit novembre 1978, le téléphone sonna : ses parents venaient de le retrouver – pendu. Son dernier geste, m’acheter un cadeau d’anniversaire qu’on retrouva près de lui avec la mention : « Pour mon parrain ». Ainsi, notre affection, notre aide n’avaient servi à rien. Nous avions déjà rencontré des échecs, certains dus à nos insuffisances, à nos erreurs, d’autres à des événements extérieurs. Mais cette fois-ci, ce n’était plus un échec, mais une blessure. Nous faisions maintenant partie souffrante de ceux que nous nous étions contentés d’aider de l’extérieur. Cette blessure, pour la première fois, me fit vraiment entrevoir ce qui animait « tonton » alors que, côte à côte, nous enterrions l’enfant en terre étrangère.


Sur une photo, le curé de la paroisse reconnut l’enfant qui chaque dimanche assistait seul à la messe au dernier rang et confia la célébration à un diacre. Nous n’étions qu’une dizaine à suivre le cercueil de ce petit chrétien solitaire.

 

 

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Quelques jours plus tard, je reçu une lettre de René Péchard. Nous nous connaissions depuis quinze ans, nous nous écrivions plusieurs fois par semaine, nous avions parcourus des milliers de kilomètres ensemble… pour la première fois, c’était une lettre personnelle.

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« La vie était trop compliquée. » Je voulus savoir. J’allai au centre d’apprentissage, je revis la paroisse où je l’avais conduit le premier jour, je cherchai à visionner le film qu’il avait vu à la télévision jusqu’à une heure du matin, quelques minutes avant…  Des enfants demandaient du pain, on leur donnait des serpents ! La source vive était brouillée par une clérocratie locale épuisée de chicanes. Des sectes s’engouffraient et recrutaient. Les pauvres étaient écartés du Royaume.

 J’étais alors directeur du développement du groupe jeunes d’Hachette : une centaine de collaborateurs, des dizaines de nouveautés chaque année, des millions d’exemplaires et pas un livre qui aurait pu le sauver…. Tandis que l’enfant confié par le Seigneur m’appelait en vain, je montais des plans marketing !

Ainsi naquirent les éditions du Sarment d’un coup de cœur, d’un coup au cœur. J’élaborai un business plan. Pour objectif : l’Evangile! Pour cash flow : la charité! Pour marché : ceux pour qui « la vie était trop compliquée»! Le Sarment devint un département de Fayard, filiale d’Hachette  ( aujourd’hui les éditions du Jubilé – Le Sarment)..

Durant les quelques trente années qui suivirent, la maison publia des centaines de livres d’évangélisation, mais il fallait bien se rendre à l’évidence : ces livres rejoignaient surtout les chrétiens alors que la Parole de Dieu, pour peu qu’elle soit proposée et commentée, nourrissait souvent durablement les jeunes de l’Institut du Fleuve dont la plupart n’avait jamais entendu auparavant parler de l’Evangile. La Bible des Peuples répondait particulièrement à leur attente grâce à ses commentaires à la portée de tous. Encore fallait-il pouvoir y accéder en un temps où beaucoup, mobilisés par leurs écrans d’ordinateurs, ont perdu jusqu’au réflexe d’ouvrir un livre … Naturellement, la réponse la plus pertinente réside dans la lecture de la Bible méditée en famille, mais une fois encore, les plus isolés, les plus perdus, ceux dont le joug est le plus lourd, meurent de soif prés de la source.

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Pour le trentième anniversaire de  la mort de Na, nous décidâmes de nous associer non seulement à la publication d’un CD Rom qui répondait à notre attente, mais encore à sa diffusion grâce à une initiative inouïe prise par l’hebdomadaire « France Catholique » de distribuer gratuitement un exemplaire à chacun de ses abonnés. Cadeau que nous voulons
partager avec tous ces jeunes désemparés dont nous aurons à rendre compte. Tous ceux, privés de paternité qui ont le droit de savoir qu’ils ont un Père qui les aime à la mesure de leur misère. C’est à poignées que doit tomber la Parole. C’est par dizaines que nous devons maintenant distribuer ce CD, comme une réponse concrète aux appels du pape Benoît XVI qui, lorsqu’il était encore cardinal Ratzinger, a encouragé la diffusion de la Bible des Peuples et qui vient d’appeler les évêques du monde entier à propager la diffusion de la Parole de Dieu.


Jean-Claude Didelot

 

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