A l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de René Péchard, célébré ce 3 octobre dans l’intimité avec le père Labaky, nous mettons en ligne quelques documents commémoratifs : Son testament, la photo prise durant la veillée précédant ses obsèques, le récit de sa mort par JC Didelot, la remise de son chapelet et de son missel.
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Veillée la veille des obèques de de tonton
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Jean-Claude Didelot sur la
tombe de Réné Péchard |
Chapelet de René Péchard missel de René Péchard |
Extrait de la revue N°43
Remise du chapelet et du missel à JC Didelot |
Récit des derniers jours de René Péchard
( Extrait du livre « Piété Filiale » par Jean-Claude Didelot)
« Accaparé par ma famille, mon activité professionnelle, l’édition de l’ouvrage consacré à son œuvre, je ne pouvais me consacrer entièrement à l’association. En avril 88, je cru bien faire en lui proposant à l’essai un collaborateur à mi-temps. Deux mois plus tard, celui-ci anticipant sur sa succession, et sans aucun mandat, prenait des initiatives personnelles de nature à mettre en cause l’autonomie voire l’existence même de l’association. Les anciens qu’il avait élevés, rendus circonspects par les régimes qu’ils avaient fuis, s’en ouvrirent auprès de lui. Il rédigea dans les tous derniers jours de sa vie une petite note où, prenant nettement ses distances, s’exprime en demie teinte son inquiétude. Il l’avait intitulée « A dire moi-même aux garçons », signifiant par là l’importance qu’il y attachait :
Mais j’ai appris en fin d’année scolaire que certains avaient voulu me voir pour demander un conseil et, me sachant occupé, ou en train de me reposer, n’avaient pas osé me déranger… Vous m’appelez « tonton ». je ne veux pas que ce soit une mode, une habitude. Tonton, c’est le diminutif affectueux de oncle et, chez vous, c’est le nom que l’on donne à une personne plus âgée que l’on respecte. En France, il s’agit vraiment de l’oncle, frère du père ou de la mère et qui, dans beaucoup de cas, sont appelés à remplacer le père ou la mère absents. Puisque dans cette maison je suis votre tonton, vous pouvez toujours venir me demander un conseil ou me confier vos préoccupations, partager une peine car je vous aime et vous pouvez vous conduire vraiment comme si vous étiez mes neveux.
Pour cela, n’attendez pas que je sois inoccupé car ce jour là, je serai mort ».
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…Et la mort le surprit sans qu’il ait eu le temps d’éradiquer le danger car au même moment une étrange opération de déstabilisation, nous mobilisa. Le prétexte en fut une enquête préliminaire à l’attribution de la médaille de Saint Grégoire le Grand. Nous n’avions pas été informés de cette curieuse initiative qu’il aurait certainement désapprouvée. Un petit groupe, sans doute manipulé, s’en saisit pour tenter de le salir auprès des autorités de l’Eglise avant de me signifier qu’ils « feraient tout pour faire démissionner monsieur Péchard, déserteur de la Légion Etrangère, et, d’ailleurs, malade, voire sénile… ». Touché dans son intelligence et sa volonté, sûrement pas ! Mais à bout de forces, épuisé, certes, il l’était ! Raison de plus pour l’entourer de notre respect, de notre fidélité, de notre affection, de notre reconnaissance ! J’eus beau le défendre, rien n’y fit. « Nous n’hésiterons pas à mobiliser des media amis… il ne s’en relèvera pas ! Qu’il démissionne ! Qu’il disparaisse ! Nous avons des dossiers ! Prenez sa place [JD1]! ». La manœuvre était claire : me circonvenir pour libérer la voie.
La menace était sérieuse, le risque réel car sous le masque de la vertu outragée se cachait une fois encore une machination bien préparée. Désolé, je finis par appeler le vieux monsieur si fatigué, lui rapporter la rumeur, le danger que courait notre oeuvre. Je lui redis ma fidélité, mon estime, mon admiration, quoiqu’il aie pu faire avant que je le connaisse :
Mais, Jean-Claude, je vous ai déjà tout raconté… j’assume mon passé, je comprends qu’il puisse choquer mais vous savez bien que je n’ai jamais déserté !
Je vous crois bien sur, mais cette fois-ci, ma parole ne leur suffit plus, il me faut des preuves pour les faire taire définitivement.
En plein été, par une chaleur torride, il se rendit alors à Aubagne, en revint avec un « état signalétique et des services » signé du général commandant la Légion Etrangère en date du 18 août 1988, un certificat de bonne conduite… et le droit au port de deux médailles assorti d’une petite pension qui l’attendait depuis quarante ans[JD2]. Il était lavé définitivement et je crus l’affaire close. Rien n’y fit : peu importait la vérité, ce qu’ils voulaient, c’était prendre le pouvoir sur son œuvre quitte à la détruire. Il songea de nouveau à s’effacer, me suggéra de le remplacer. Ce fut notre dernier entretien. J’entends encore sa voix tellement lasse, mais sereine. Il reprit la route pour quêter. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 1988, je me réveillai comme pris d’angoisse, une prière spontanée émergeant de ma conscience encore embrumée de sommeil :
Seigneur! Il faut que Tu viennes maintenant au secours de l’Association.
Le cadran du radio-réveil indiquait exactement 3 heures 38. Je n’eus pas le temps de me rendormir : cinq minutes plus tard, le téléphone sonnait. On appelait de Nogent-le-Rotrou où il passait la nuit :
« Tonton va très mal. Le médecin vient d’arriver, il dit qu’il est dans un coma profond. »
J’ai hésité à raconter cela. Chacun l’interprétera à la lumière de son expérience et de ses convictions… Mais comment taire les événements qui ont entouré la disparition de cet homme extraordinaire, si humble, si peu connu du public et, pourtant, tellement enraciné dans la mémoire et le cœur de ces milliers de jeunes, de familles, de réfugiés, soudain orphelins?
A mon arrivée au foyer un garçon pleurait silencieusement. Je trouvai dans une enveloppe cachetée une cassette préparée à mon intention. Les jours suivants allaient nous montrer à quel point cette œuvre avait été multiple, féconde et discrète. Le soir même, une dame asiatique inconnue arriva en larmes :
« Je lui dois tout! Ma famille, mes enfants lui doivent tout! »
Nous ne la connaissions pas. Elle devait être suivie de bien d’autres témoins qui se révélaient peu à peu. Il fallut procéder à l’inventaire de ses affaires; ce fut vite fait. Cet homme qui avait possédé un des plus importants cabinets dentaires de Vientiane vivait dans une seule chambre, pas plus grande que celles des jeunes du foyer. Cette chambre était celle d’un pauvre. Il avait tout donné et ne subsistait que grâce à la retraite du minimum vieillesse accordée par le Fonds national de solidarité[1]. L’héritage qu’il laissait n’était pas de ceux qui provoquent la division des familles et les querelles. Non, son héritage, tout spirituel, appartient à tous ceux qui veulent trouver le chemin du bonheur; chemin étroit si bien décrit dans l’Évangile. Cet homme de paix, cet homme bon, avait plusieurs fois rencontré dans sa vie l’incompréhension, et parfois la méchanceté. En cela, il avait partagé la condition des pauvres, humiliés par ceux dont le pouvoir ou l’argent, ou simplement l’envie, durcissent le cœur.
Lorsqu’il était seul en cause, il se contentait du silence. Il me disait :
« Ils verront bien qu’ils se sont trompés, et s’excuseront peut-être… »
Je m’indignais de voir qu’il n’en était rien. Alors, lui, dans un sourire :
« Je croyais que vous étiez chrétien et que vous récitiez le Notre Père… »
II le récitait souvent, et aussi, sans doute, cette prière trouvée sur un papier, plié en quatre, dans une poche de sa veste :
« La paix, la sagesse, la force, les yeux pleins d’amour, être patient, compréhensif, doux et sage; voir au-delà des apparences et ne voir que le bien en chacun, sourd aux calomnies, muet à la malveillance, des pensées qui bénissent et attirent par la joie… »
Sans doute avait-il lui-même eu beaucoup l’occasion de pleurer et il ne condamnait pas ceux qui ne connaissaient pas le malheur. Il avait aussi beaucoup vécu, il avait su dire « non » en des temps où cela n’allait pas sans risques; il était un fondateur. Cette race d’hommes est rare. Ceux qui en font partie se reconnaissent d’emblée par-delà les aléas de la vie, les milieux sociaux, la nature des engagements et même les options.
Il avait demandé que ses obsèques fussent les plus simples possible. Nous avions voulu que son corps fût ramené au foyer d’Asnières juste avant la cérémonie religieuse. Les jeunes l’attendaient dans cette maison qui était la sienne, qui était la leur. Le soir précédent, une veillée avait rassemblé des anciens des foyers du Laos, de Fourmies, de Rouen, de Rosny-sous- Bois, de Valence, autour de ceux des nouvelles maisons. Cette rencontre aurait pu être triste. Elle fut émouvante et familiale : les derniers arrivés découvraient qu’ils faisaient partie d’une immense famille. Tous l’escortèrent à pied jusqu’à l’église déjà remplie.
L’Evangile ne pouvait qu’être celui des Béatitudes :
Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux.
Bienheureux ceux qui sont doux parce qu’ils posséderont la terre.
Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés.
Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés.
Bienheureux les miséricordieux parce qu’ils obtiendront miséricorde.
Bienheureux ceux qui ont le cœur pur parce qu’ils verront Dieu.
Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés fils de Dieu.
Bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice parce que le royaume de Dieu est à eux.
Bienheureux serez-vous, quand on vous insultera et persécutera, et qu’on dira faussement toute sorte de
mal contre vous à cause de moi :
Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux ; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui étaient avant vous.
Mt 5, 3-12
Il avait aimé et servi les peuples du Sud-Est asiatique : les intentions de prière furent exprimées successivement en cambodgien, en chinois, en laotien, en thaïlandais et en vietnamien. Mais son pays allait bien au-delà de cette région où l’avaient conduit les hasards de la vie; son pays, c’était celui de l’enfance malheureuse. Pour le signifier, le père Mansour Labaky, autre témoin de l’Amour dans le Liban martyr, prit la parole (Voir le texte de cette homélie en « documents ») :
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« Après ma mort, vous trouverez dans le tiroir de mon bureau une lettre et une cassette enregistrée… »… Envahi d’émotion, j’écoutai l’enregistrement. Il l’avait réalisé durant un voyage en Thaïlande au cours d’une étape dans un collège. La voix est basse, un peu essoufflée. En arrière-plan, des rires d’enfants ( A écouter ou à lire):